Notre réflexion s’appuie sur l’analyse du discours de la Campagne du Sommet du Microcrédit (la Campagne), réseau composé d’acteurs hétérogène de la microfinance. Sa démarche est justifiée et orientée par le projet de faire reconnaître le microcrédit comme un outil indispensable de lutte contre la pauvreté. Si le microcrédit et les prétentions de ses acteurs font polémiques, celles-ci n’annulent pas l’impression de l’évidence de sa nécessité. La structure et l’action de la Campagne permet l’analyse d’un mode de mobilisation d’acteurs économiques qui engagent un plaidoyer actif en faveur de l’éradication de la pauvreté et de la confrontation des intentions stratégiques de acteurs aux « arrières-pensées » (Wrona, 2012) des formes, comme le portrait, que leur dicours convoque.
En posant la question suivante : dans quelle mesure les processus effectifs de communication stimulés par la Campagne ont-ils autorisé la construction du microcrédit comme une cause socialement, médiatiquement et institutionnellement visible et lisible ?, nous avons pris le parti de l’« infra-ordinaire » (Perec) dans son choix d’analyse des unités discrètes qui composent les textes de la Campagne et celui de leur description « dense » (Geertz) pour élucider et comprendre les modes de construction et les effets de sens potentiels des pratiques et des discours de la Campagne depuis l’acte fondateur du permier Sommet Mondial du Microcrédit en 1997.
La Campagne incarne l’apparition, au sens de Arendt, dans le domaine public, d’une voix et la matérialisation d’une voie. La voix argumente, met en récit une conception de la pauvreté, de ses victimes et de ses solutions possibles. Elle élabore le cadre discursif qui autorise et justifie l’action. La voie matérialise les actions et les différents dispositifs mis en œuvre par les acteurs. La structure de la Campagne et la mixité de ses membres légitiment sa prétention à s’ériger en porte-parole du secteur de la microfinance.
La Cause du microcrédit s’argumente, se raconte et s’amplifie entre deux figures anthropomorphes - le microentrepreneur et le macroentrepreneur – et deux figures typiques – la pauvreté et l’argent.
Une éthique de la représentation s’invite dans la réflexion entamée, par les acteurs du secteur, sur les contours et le contenu d’une responsabilité sociale de la microfinance. Elle engage les possibilités d’expression, par les personnes en situation de pauvreté, de la réalité de leurs conditions de vie telles qu’elles sont vécues et participe de la construction d’un rapport social à la pauvreté.
La représentation est comprise ici dans son sens politique et dans les deux sens transitif et réflexif de la définition retenue par Louis Marin. En effet, quand la Campagne parle des pauvres, elle parle d’elle-même. Processus paradoxal de la visibilité, quoique omniprésents, la voix et la voie des pauvres semblent rendues inaudibles par un dispositif qui capte et canalise leur parole. Ils s’effacent au profit de la voix et de la voie qui leur sont offertes.
Mots clés : Microcrédit, discours, portraits, cause, entrepreneur