L’innovation sociale (IS) invite le monde classique de l’innovation et le monde des acteurs traditionnels de l’action sociale à cohabiter, ce qui donne lieu à des interrogations sur les conditions de ce renouveau, sur les méthodes de sa mise en pratique ainsi que sur son impact sur la société.
Ce concept composite se retrouve à la confluence de trois dimensions (Besançon et al., 2013) entre: un instrument de modernisation de politiques publiques dans l’esprit du New public management, un objet de prédilection des entrepreneurs et entreprises sociales et finalement, un facteur de transformation sociale (Klein et al., 2010). Dans la pratique, l’IS laisse entrevoir deux évolutions alternatives: d’une part, un déploiement d’actions visant à produire de la transformation sociale pour mieux répondre aux besoins de la
société, d’autre part, une marchandisation des besoins sociaux pour qu’ils répondent aux mêmes principes de rentabilité et concurrence que n’importe quel autre bien échangé sur un marché (Callon, 2010). Face aux problèmes sociaux actuels, les promesses de solutions que l’innovation sociale apporte attirent une multitude d’acteurs publiques et privés, dans des dynamiques et configurations qui varient en fonction des pays. Chacun de ces acteurs essaie de s’approprier le concept, comme le montre en France le processus d’institutionnalisation de l’IS à travers la loi ESS de 2014 ou encore l’accroissement des moyens financiers dédiés à l’IS.
Dans ce contexte, est-ce que l’IS représente une voie pour un retour des enjeux sociaux au centre des activités économiques ou simplement un moyen de rendre légitime l’accès à un marché des besoins sociaux par les acteurs privés? Ce projet de thèse essaiera de clarifier la dualité du concept d’IS en utilisant comme prisme de lecture les pépinières d’innovation sociale et les entreprises sociales qu’elles soutiennent. Plus précisément, le projet se concentre sur l’analyse des entreprises héritières de l’action publique. Ces entreprises agissent dans des domaines qui représentaient jusqu’à présent une prérogative des Etats: la santé, l’éducation, la culture, l’accès à l’emploi et l’énergie. Dans une démarche qui relève de la sociologie de l’action publique (Lascoumes, 2012), l’objectif est d’analyser les enjeux gestionnaires et politiques incarnés dans cette transformation de l’action publique par l’intermédiaire de l’IS.
Afin d’y arriver, cette recherche doctorale est divisée en deux parties. Il s’agit d’abord de réaliser une étude sectorielle de l’imbrication de l’IS vis-à-vis de l’action publique en France, au travers des cinq domaines identifiés ci-dessus. Le terrain analysé est l’écosystème d’IS en Languedoc Roussillon, qui se distingue par son tissu de projets socialement innovants, ainsi que par une volonté politique de faire de l’IS un axe de développement territorial à part entière (Richez-Battesti & Vallade, 2009).. Ensuite, une deuxième partie sera consacrée à un de ces 5 secteurs, qui sera mis en valeur par une étude comparative à travers les projets de quatre pépinières d’IS présentes en Europe: les dispositifs français Alter’Incub et REALIS, le programme allemand SOCIAL IMPACT LAB, le réseau britannique IMPACT HUB, et le réseau américain NESsT implanté dans les pays de l’Europe de l’Est.
Cette recherche doctorale s’inscrit en cohérence avec les perspectives critiques en management et représente une démarche qualitative de théorisation enracinée (Glaser et Strauss, 1967 ; Corbin et Strauss, 2008). Cet encrage méthodologique devra permettre de déconstruire la notion d’innovation sociale en tant que modèle gestionnaire, ainsi que de caractériser sa diffusion dans les dispositifs politiques et les pratiques de management de l’entrepreneuriat social et solidaire. Egalement, elle permettra de caractériser les représentations de l’IS au sein de ces pépinières, ainsi que leurs influences sur les modèles d’accompagnement développés et les profils d’entreprises promues. Au-delà du clivage apparent entre logique de transformation sociale et logique de marchandisation, il s’agira également de mieux cerner les difficultés spécifiques rencontrées par le déploiement de ces deux logiques et la manière dont les pépinières permettent, ou non, d’y remédier.
Dans de la cadre de la conférence EMES, je souhaiterais notamment présenter les résultats issus de l’étude exploratoire sectorielle menée sur les entreprises sociales accompagnées en Languedoc Roussillon par Alter’Incub et Réalis.
Mots clés: innovation sociale, action publique, entreprises sociales, institutionnalisation